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La Belgique active le plan de la balkanisation de la RDC

Written By FODABI on lundi 4 novembre 2013 | 10:06

Lancer le projet d’un plan Marshall pour la RDC est louable. Mais, là où le bat blesse c’est lorsque ce fameux plan ne concerne que l’Est du pays qui passe désormais pour le centre d’intérêt de la communauté internationale. Placé à côté d’autres initiatives qui ne veulent pas prendre en compte l’ensemble de la République, ce projet laisserait un arrière-goût qui le fait passer pour un pan du plan de la balkanisation du Congo.
 
Longtemps en marge de la crise qui ronge la partie Est de la République démocratique du Congo, la Belgique a créé la surprise en proposant en marge de la 68ème Assemblée générale des Nations unies, un Plan Marshall pour la partie Est de la RDC.
Le projet a été soumis au président Joseph Kabila par les ministres belges des Affaires étrangères Didier Reynders et Jean-Pascal Labille de la Coopération au développement. « La Belgique est un peu l’initiateur, du fait de son expertise, mais c’est un projet collectif. La Belgique a entrepris de fédérer les efforts de la Banque mondiale, de l’Union européenne et de sa propre coopération en faveur d’un développement socio-économique de l’Est de la République démocratique du Congo et de son voisinage, afin de favoriser le retour de la paix dans la région des Grands Lacs », a expliqué à la presse le ministre belge de la Coopération.
 
Il a expliqué que « la Belgique peut réorienter une partie de ses moyens, mais cela doit être tourné vers l’Est de la RDC » et son développement économique. « Les projets en question devraient notamment concerner les secteurs de l’énergie, de l’eau, de l’agriculture et du commerce transfrontalier, avec, pour la Belgique, une « forme de réorientation » des fonds de la coopération au profit des deux Kivu, mais sans abandonner les autres provinces de la République démocratique du Congo », a-t-il souligné en substance.
 
« L’élément essentiel, c’est d’assurer un avenir à l’ensemble de cette population et un développement socio-économique à l’ensemble de ces pays de la région des Grands Lacs », a-t-il insisté.
A la presse, les deux ministres belges ont indiqué que « le président Kabila s’était montré favorable à un tel projet », souhaitant plutôt « construire un pont vers le Rwanda qu’un mur » entre les deux pays. Ce qu’a du reste réitéré Lambert Mende Omalanga, porte-parole du gouvernement.
Le projet du « Plan Marshall » pour le développement social et économique de l’Est de la République démocratique du Congo (RDC) « ne dérange en rien le gouvernement congolais », a indiqué le ministre de la Communication et médias, Lambert Mende. « Tout cela, a-t-il soutenu, rentre dans les préoccupations de la RDC qui sait qu’elle a des problèmes sur tout son territoire, et qui est consciente du fait que le Nord-Kivu, le Nord Katanga, le Sud-Kivu, l’Ituri ont été particulièrement affectés par les destructions de la guerre et ont besoin d’une intervention plus ou moins spécifique ».
 
Selon Lambert Mende, cette idée d’apporter un soutien substantiel à la reconstruction et la stabilisation de l’Est de la RDC meurtri par la guerre d’agression ferait partie intégrante des options retenues dans l’accord-cadre d’Addis-Abeba du 24 février 2013 et concernerait aussi le Rwanda et l’Ouganda. 

UN PAYS A DEUX VITESSES

Si le projet de la Belgique a pour fondement l’Accord-cadre d’Addis-Abeba, il y a donc de bonnes raisons de se poser des questions. L’on se rappelle que la signature de cet accord, jugé compromettant pour la souveraineté de la RDC, avait suscité de vives critiques dans l’opinion publique congolaise. Certains ont vu dans cet accord une forme voilée de la mise sous tutelle de la RDC par la communauté internationale, agissant via les Nations unies.
 
Et aujourd’hui, c’est sur ce même accord que la Belgique et les autres pays occidentaux proposent un plan global de reconstruction essentiellement destiné à la partie Est de la RDC. Derrière la nécessité de venir en aide aux populations meurtries de l’Est se déclinent des motivations obscures qu’il faudrait décrypter.
En effet, depuis plus d’une décennie, la partie Est de la RDC passe pour une zone névralgique, minée par des conflits intermittents, généralement téléguidés à partir des pays frontaliers à la RDC, notamment le Rwanda et l’Ouganda.
A ce jour, il s’y concentre un nombre impressionnant d’Ong étrangères. Au point que des programmes et des initiatives rivalisent soit pour venir en aide aux populations civiles, soit pour appuyer le plan de reconstruction et de stabilisation de l’ensemble de la sous-région. Le tout dernier en date est le programme Starec, soutenu par divers partenaires extérieurs, dont l’Agence britannique du développement (DFID).
 
Toutes ces initiatives se sont soldées, dans la plupart de cas, par des résultats mitigés.  Alors que la communauté internationale peine à mettre en œuvre un programme cohérent et efficace de sortie de crise dans l’Est, des pays européens, sous la conduite de la Belgique initient un programme qui vient renforcer les programmes séparatistes entre l’Est et l’Ouest de la RDC.
En réalité, le Plan Marshal pour la RDC va préparer le lit à la partition du pays. La RDC va fonctionner à deux vitesses. Même des pays européens qui ne sont pas en coopération avec la RDC se sont engagés à disponibiliser des fonds pour que le Rwanda et l’Ouganda, deux Etats à part entière, soient engagés dans un partenariat sous régional avec une partie du territoire de leur voisin, ci-devant la RDC.
 
Nous l’avons toujours dit et nous ne cesserons pas de le dénoncer, toutes ces bonnes intentions-en apparence- plantent le décor qui se prête bien au démantèlement de la RDC. Les initiateurs de tous ces beaux projets voudraient faire gober l’idée selon laquelle, le partage des ressources naturelles de la RDC entre les pays des Grands Lacs contribuerait au retour de la paix dans la sous-région. Que nenni ! Au contraire, cela va donner un sceau officiel au pillage et favoriser l’annexion des deux Kivu avec, en toile de fond, l’organisation depuis peu de l’implantation des nouvelles populations en lieu et place des autochtones chassés de leurs terres et condamnés à l’errance.
Si aujourd’hui la question économique est le fond du problème, qu’a-t-on fait des motivations ethniques de la crise tant vantées autrefois ? L’opinion congolaise n’a pas la mémoire courte.  Elle est assez éveillée pour faire échec à toute entreprise qui pue le cadeau empoisonné. 

Le Plan Marshall et le capitalisme prédateur. L’Est du Congo pourrait faire exception

«On croit mourir pour la patrie : on meurt pour les industries» A. France
Le Plan Marshall a plusieurs versions historiques. Nous en connaissons deux : 
«une version officielle» et une autre revisitée. Celle-ci est dérangeante. Elle remet en question la première à partir de l’orientation de la politique étrangère US après la deuxième guerre mondiale. Elle indique le lien entre le Plan Marshall et la subordination des intérêts des nations l’ayant appliqué aux intérêts du capitalisme prédateur américain. «La version officielle», la plus répandue, présente les américains comme étant «les libérateurs» de l’Europe de l’Ouest et met entre parenthèse le contexte dans lequel le Plan a été conçu. Revisiter l’histoire de cette Europe est nécessaire pour poser des questions, parfois « bêtes », sur ce que la Belgique et certains autres pays occidentaux voudraient réaliser à l’Est de la RDC.
 
Après la Grande Dépression de 1929, le président Roosevelt a proposé un New Deal au peuple américain. Il a mis en place un Etat public régulateur de l’économie. «Pendant longtemps, écrit Peter Dale Scott, il a semblé que le New Deal de Roosevelt, répondant à la plus grave crise économique des l’Histoire de la nation, avait initié une nouvelle ère plus stable de capitalisme régulé, avec des syndicats puissants et des mécanismes de contrôle de banques, ou encore la négociation des salaires et des avantages sociaux des travailleurs grâce à des procédures d’arbitrage mutuellement acceptées. »[1] Après la seconde guerre mondiale, l’Etat public régulant le capitalisme fut long feu. Le Département de la Justice échoua dans sa tentative d’appliquer aux majors pétrolières US les lois antitrust. « La survie des majors à ce défi intérieur amplifia leur déjà spectaculaire influence sur la politique étrangère des Etats-Unis. Celle-ci peut-être observée dans la Doctrine Truman de 1946 (qui garantissait la sécurité maritime en Méditerranée pour les tankers transportant du pétrole saoudien) et le Plan Marshal de 1948 (qui créa en Europe de l’Ouest un marché pour le surplus de pétrole moyen-oriental). »[2] Notons que ce Plan fait partie de l’expansion du capitalisme prédateur.
 
Et en 1948, quelle est la doctrine qui oriente la politique étrangère US ? Sur quoi est-elle fondée ? Au Conseil des relations extérieures, un groupe d’études dénommé Guerre et Paix, a concocté le projet du Grand Domaine. Il partait d’un constat : les USA avaient 60% de la richesse mondiale et 6,3% de sa population. Ils devraient être sûrs que cette situation en ferait l’objet d’envie et de ressentiment. « Notre véritable tâche dans la période qui vient, nota ce groupe d’étude, est d’imaginer un système de relations qui nous assure de maintenir cette disparité. »[3] Pour ce faire, ils devaient rompre avec « les idées illusoires » telles que celles de l’élévation du niveau de vie des citoyens, de la démocratisation et des droits de l’homme.
 
« Ne nous berçons pas de l’illusion que nous pouvons nous permettre le luxe d’être altruistes et bienfaiteurs de l’humanité, écrivit-il. » Pour ce groupe d’études, les rapports sociaux sont exclus de l’approche de l’autre comme socle à partager. Il n’y a que les rapports économiques qui comptent.
Disons que le contexte dans lequel le Plan Marshal va être appliqué est celui du capitalisme prédateur, excluant tout altruisme, toute philanthropie, toute justice sociale et tout effort de gouvernement démocratique régulateur. Il participe du projet du « Grand Domaine » conçu dans le secret. 
 
De quoi s’agit-il ? Il s’agit de la conquête de « l’espace mondial stratégiquement indispensable pour s’assurer la maîtrise du monde, trouver de nouvelles terres, se procurer facilement des matières premières, en même temps qu’exploiter la main-d’œuvre ‘servile à bon marché’ des indigènes. Développer l’esprit des colonies (…) permettra également d’écouler les marchandises produites dans leurs usines. »[4] Le « Grand Domaine » est le lieu de l’organisation de la subordination des intérêts nationaux des pays dits « amis » ou « alliés » à ceux des USA. Le Plan Marshall, la Banque mondiale, le FMI et l’OMC en ont été « des créatures ». Il a été conçu par un petit groupe de l’élite américaine pour l’expansion du capitalisme prédateur et non pour le bien-être des peuples. 
 
Mais ce n’est pas cela que l’histoire officielle enseigne. Celle-ci présente les américains comme « les libérateurs » des français et d’autres occidentaux du nazisme au point qu’un discours comme celui que nous empruntons dans cet article à Danielle Mitterrand est dérangeant. Elle note : « Libérer les Français du nazisme ! Sauver la démocratie ! Ils ont débarqué sur les plages de Normandie pour sauver la démocratie. Beaucoup ont donné leur vie. Mais ils ne savaient pas, eux non plus, qu’un groupe d’études qu’ils ne connaissaient pas avait d’autres objectifs en tête, et n’hésitait pas à en balayer les principes d’un trait de plume. »[5] L’un de ces objectifs fut de transformer l’Europe de l’Ouest en un terrain de guerre économique. « Première victoire : dissolution du système monétaire par la fin de la référence-or, stratégie élaborée des multinationales, manipulations boursières du dollar, insertion dans une zone de libre-échange dont on connaît les effets. » L’un de ces effets fut la soumission du Marché commun aux puissances extérieures et plus tard, la création de l’UE[6].
 
Quand certains pays occidentaux parlent du « Plan Marshall » pour l’Est de la RDC , notre peur est qu’ils ne soient en train de vendre « la version officielle » dudit Plan. Il est possible qu’ils puissent se dire que « leurs alliés » congolais ne savent pas que l’UE est « américanisée » et qu’elle est dirigée par la troïka composée de la Commission Européenne , du FMI et de la Banque Centrale Européenne. Et que plusieurs pays européens (ou même tous) ont perdu leur souveraineté face à cette troïka[7]. La RDC va-t-elle avoir affaire, pour « son Plan Marshall », à une petite élite européenne travaillant pour le bien-être des multinationales, soutiens de la troïka, après tous les crimes perpétrés en Afrique centrale par le capitalisme prédateur[8] ? 
 
Posons quand même quelques questions bêtes. Comment l’Europe qui impose des plans d’austérité à certains de ses membres, comment l’Europe où les entreprises ferment les unes après les autres, où le chômage est galopant, où certains peuples sont stigmatisés à cause de leurs origines identitaires peut-elle aller travailler au redressement de l’Est de la RDC ?
Pourquoi ne donne-t-elle pas un coup de main aux USA qui ont maille à partir avec leur budget ? Pourquoi n’utilise-t-elle pas son argent à payer sa dette intérieure abyssale ?
 
Aussi l’Europe est-elle en RDC depuis très longtemps et davantage à partir des élections de 2006. Pourquoi a-t-elle attendu si longtemps pour appliquer « son Plan Marshall » à l’Est de la RDC ? Veut-elle poursuivre son travail de « destruction créatrice » dans ce pays qui est au cœur de l’Afrique ?
Quels sont les principes sur lesquels elle veut bâtir « son Plan Marshall » ?
Il est possible que la Belgique et certains pays européens aient un véritable « Plan Marshall » pour l’Est de la RDC. La RDC pourrait être une exception dans l’histoire du capitalisme prédateur.
 
Mais pourquoi un « Plan pour » et non un « Plan avec » ?
Un « Plan pour » irait dans le sens de la logique néocoloniale et paternaliste. Un « Plan avec » irait dans le sens de l’interdépendance des peuples. Et d’une interdépendance responsabilisante. Il exigerait que les partenaires se mettent d’accord sur les principes à respecter dans la réalisation commune de ce « Plan ». L’un des principes serait le respect de la souveraineté de la RDC afin que les décisions prises pour la reconstruction d’une partie de son territoire ne lui soient pas dictées de l’extérieur. Qu’elle décide seule en âme et conscience des orientations à donner à cette reconstruction multiforme et implique ses partenaires extérieurs à bon escient. (Or, la RDC est un pays sous tutelle, sous occupation., et agencifié au niveau de ses ministères. Donc, il ne peut rien décider par lui-même.)
Un autre principe serait celui de la légitimité du pouvoir avec lequel les partenaires extérieurs veulent travailler. Ou ceux-ci considèrent que le respect des droits de l’homme, de la démocratisation participative, de la justice sociale, du pluralisme politique (piliers d’un pouvoir légitime) est un objectif illusoire dont ils ne doivent pas tenir compte au nom du capitalisme prédateur qu’ils servent ; ou ils y recourent comme base politique indispensable à la lutte contre la crise anthropologique dont souffre toute la RDC. (Or, ils voudraient travailler avec un pouvoir illégitime qu’ils ont créé après les élections piège à con de 2006. Donc, il n’y aurait rien à attendre de ce Plan.)
Un troisième principe serait la refondation de tous ces échanges et « Plans » sur autre chose que les rapports économico-financiers en reconnaissant la commune socialité (et la solidarité) comme des valeurs sur lesquelles il ne faut pas transiger.
 
A notre avis, il pourra être difficile à l’UE de repenser sa façon de faire avec la RDC. Sa prise en otage par la troïka est un handicap sérieux à la promotion de relations d’interdépendance responsable et responsabilisante. Dominée par « la démocratie du marché », elle va travailler à l’extension du Grand Domaine. Elle va contribuer à l’avancement du projet du « marché de l’Afrique de l’Est » aux dépens des valeurs qui l’ont façonnée quand elle régulait encore le capitalisme.
Avec le Plan Marshall UE, la RDC et sa partie orientale ne seront pas sorties de l’auberge. Le réseau d’élite transnational de prédation tirera son épingle du jeu après « les loyaux services » qu’il aura rendu aux « cosmocrates », ces multinationales sans foi ni loi.
Photo : Didier REYNDERS
Mbelu Babanya Kabudi
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